Protection de la vie privée VS liberté de la presse

La CNIL consacre une partie de son rapport d’activité de 2015 à ce sujet prenant : « Comment concilier protection de la vie privée et liberté de la presse ? »

Selon ce rapport, cette question de la friction entre les activités des organes de presse et la protection des données personnelles s’est posée dès le début des travaux parlementaires relatifs à la future loi Informatiques et Libertés, en 1977.

Le droit d’opposition peut-il restreindre la liberté de la presse ?

La CNIL revient ainsi sur l’évolution et l’adaptation de la loi du 6 janvier 1978 à la presse écrite et audiovisuelle.

Les organes de presse établis en France ont bénéficié d’un régime dérogatoire dès l’origine de la loi Informatique et Liberté et n’ont donc pas été soumis à certaines interdictions (par exemple, l’interdiction de procéder au traitement de données sensibles concernant les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques, religieuses,…) ni à certains encadrements (tels que l’encadrement des transferts de données d’un pays vers un autre).

Ce régime dérogatoire accordé aux organes de presse a été renforcé en 2004

Liberté Presse

La loi du 6 aout 2004 transposant la directive européenne du 24 octobre 1995 sur la protection des données a donné naissance à l’article 67 de la loi informatique et libertés venant élargir le nombre de dispositions de cette loi ne s’appliquant pas aux organes de presse et aux traitements à des fins journalistiques.

Aux exceptions prévues dès l’origine se rajoutent :

  • La possibilité de traiter les données sans limitation de durée ;
  • L’absence d’obligation d’information des intéressés ;
  • L’exclusion des droits d’accès, de rectification et de suppression

Néanmoins, le droit d’opposition prévu par l’article 38 de la loi de 1978 reste toutefois applicable aux organes de presse.

Si une personne citée dans un article de presse en ligne ne peut demander la rectification ou la suppression de l’article sur le fondement de la loi Informatique et Libertés, celle-ci peut s’opposer, pour des motifs légitimes, à la diffusion des données le concernant.

Le législateur n’a donc pas écarté l’application du droit d’opposition pour motifs légitimes aux traitements journalistiques. L’organe de presse ainsi saisi doit répondre, positivement ou négativement, dans un délai de deux mois.

Comment, alors, réussir à concilier droit protection de la vie privée et liberté d’expression ?

Concernant le droit d’opposition évoqué ci-dessus, la Cour de cassation a récemment rendu un arrêt en date du 12 mai 2016 faisant prévaloir la liberté d’expression sur le droit d’opposition en estimant que : « Le fait d’imposer à un organe de presse, soit de supprimer du site internet dédié à l’archivage de ses articles, l’information elle-même contenue dans l’un de ces articles, le retrait des nom et prénom des personnes visées par la décision privant celui-ci de tout intérêt, soit d’en restreindre l’accès en modifiant le référencement habituel, excède les restrictions qui peuvent être apportées à la liberté de la presse. »

En l’espèce, deux frères étaient cités dans un article en date du 8 novembre 2006 intitulé  « Le Conseil d’Etat a réduit la sanction des frères X à un blâme » sur le site LesEchos.fr. Les frères avaient demandé la suppression de leur nom de famille en se fondant sur l’article 38 de la loi Informatique et libertés relatif au droit d’opposition au traitement de données à caractère personnel. Le journal avait refusé de donner suite à leur demande.

En 2014, la Cour de cassation belge avait pris le contrepied de cette décision en estimant que : « en refusant, dans le contexte propre à la cause et sans motif raisonnable, d’accéder à la demande d’anonymisation de l’article litigieux », le journal Le Soir « a commis une faute ».

Dans les faits, le journal Le Soir a reçu une demande d’anonymisation d’un article paru en 1994. L’article relatait la manière dont une personne avait provoqué un grave accident de la route ayant entraîné la mort de deux personnes. L’article apparaissait lorsqu’on tapait le nom et le prénom du médecin sur un moteur de recherche. Le journal avait refusé l’anonymisation de l’article.

D’autres outils juridiques au secours des personnes cités dans des articles de presse

Si, les organes de presse bénéficient d’un régime dérogatoire face à la loi Informatique et libertés et que le droit d’opposition dont bénéficient les personnes ne fait pas toujours le poids face à la liberté d’expression, rappelons que les organes de presse ne sont pas soumis à cette loi exclusivement. D’autres dispositions telles que l’article 9 du code civil ou l’article 6 de la loi LCEN de 2004 peuvent être invoquées. Le droit d’opposition étant ainsi un outil juridique parmi d’autres.

Par ailleurs, l’instauration d’un droit au déréférencement depuis l’affaire Costeja en 2014 ouvre une nouvelle voie d’action, parallèlement à l’exercice du droit d’opposition.

Les personnes peuvent ainsi d’une part solliciter le déréférencement des pages contenant des informations les concernant directement auprès des moteurs de recherche, d’autre part adresser des demandes aux organes de presse, en tant que responsable de traitement, sur le fondement de l’article 38 de la loi Informatique et Libertés.

Les effets du droit d’opposition et du droit au déréférencement sont différents : le droit d’opposition permet d’obtenir la suppression à la source d’une information alors que le déréférencement permet quant à lui d’obtenir la suppression d’un résultat apparaissant lors d’une recherche effectuée sur l’identité d’une personne.

En 2015, la CNIL a ainsi reçu 132 plaintes concernant un article de presse, ce qui représente 42% des plaintes reçues.

Sur ces 132 plaintes, 75 % portaient sur des difficultés dans l’exercice du droit d’opposition, 8 % portaient sur des demandes de déréférencement.

Concilier protection de la vie privée et liberté d’expression présente des difficultés mais comme l’évoque la CNIL dans une de ses recommandations : « les aménagements aux règles de la protection des données que commande le respect de la liberté d’expression ne doivent pas avoir pour effet de dispenser les organismes de la presse écrite ou audiovisuelle, lorsqu’ils recourent à des traitements automatisés, de l’observation de certaines règles ». Les droits des personnes concernées, socle important du dispositif Informatique et Libertés, ne doivent pas pour autant être sacrifiés sur l’autel de la liberté d’expression.
Sources :

Bilan d’activité de la CNIL 2015 https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil-36e_rapport_annuel_2015_0.pdf

http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=5021

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